Les matrices alimentaires constituent des niches écologiques complexes où la vie microbienne foisonne. En raison de leur diversité en termes de structure, texture et composition physico-chimique, elles comportent une grande diversité des microorganismes. On ajoute à cette source de variabilité, d’autres facteurs d’impact comme les paramètres de procédés industriels, la géographie, et les facteurs intrinsèques reliés aux microorganismes. Cet article donne une introduction sur l’hétérogénéité génétique, physiologique et cellulaire des microorganismes, offrant une perspective sur la diversité microbiologique qui influence la qualité et la sécurité des produits.
Food matrices constitute complex environments where microbial life abounds. Due to their diversity in terms of structure, texture and physicochemical composition, they contain a great diversity of microorganisms. We add to this source of variability, other impact factors such as industrial process parameters, geography, and intrinsic factors related to microorganisms. This article provides an introduction to the genetic, physiological and cellular heterogeneity of microorganisms, providing a perspective on the microbiological diversity that influences the quality and safety of food products.
L’hétérogénéité des matrices alimentaires
Les produits alimentaires présentent une grande diversité en termes de structure, texture et de composition physico-chimique. On en retrouve les produits liquides, solides, semi-solides, les émulsions, les produits multiphasiques, les produits avec ou sans ajout des épaississants, des conservateurs et des ingrédients de diverses origines (animale ou végétale) et ainsi de suite. En plus, de la diversité inter-produits, il existe une différence intra-produit. Ce qu’on appelle des micro-environnements, qui est reliée à la nature intrinsèque du produit et à sa composition (Wilson et al., 2002 ; Verheyen et Impe, 2021).
Les microorganismes qui sont présents naturellement ou par contamination dans ces matrices alimentaires, y trouvent les nutriments et les paramètres essentiels pour leur croissance (pH, oxygène, potentiel rédox, matière organique, etc.). Les modèles de comportement microbien sont différents d’un produit à l’autre, d’un procédé de fabrication à l’autre selon les facteurs listés précédemment. De plus, vu l’hétérogénéité présente au sein du même produit, on pourrait attendre à un comportement hétérogène du même microorganisme au sein du même produit alimentaire.
Cette complexité entraîne des défis dans l’évaluation et la prédiction du comportement microbien, posant particulièrement des obstacles dans le contrôle de la qualité microbiologique et de la sécurité alimentaire, notamment face aux agents pathogènes.
Hétérogénéité génétique : la clé de l'adaptabilité
Les différents niveaux d’hétérogénéité reconnus au sein des microorganismes, l’hétérogénéité génotypique qui prend en compte les différents isolats de la même espèce microbienne. L’hétérogénéité physiologique qui considère les différentes réponses d’un isolat à plusieurs conditions environnementales. L’hétérogénéité cellulaire qui prend en compte les différentes caractéristiques d’un même isolat dans un même environnement (Martin, C.S. et al., 2022). Ces trois niveaux d’hétérogénéité peuvent expliquer les comportements microbiens observés dans les produits alimentaires.
L’hétérogénéité génétique des microorganismes crée un tableau complexe de multiples souches au sein d’une même espèce. Ces variations résultent principalement des événements génétiques intrinsèques aux microorganismes. Chacune des souches portant un bagage génétique unique, réagit d’une manière différente aux conditions variées des procédés industriels.
Cette hétérogénéité génétique engendre des dynamiques évolutives complexes. Les microorganismes, soumis à des pressions sélectives telles que les variations de pH, température, ou la présence d’agents antimicrobiens, peuvent développer des caractéristiques génétiques spécifiques favorisant leur survie. Cela est spécifiquement important concernant les bactéries pathogènes, qui face à des conditions changeantes, telles que l’exposition à des antibiotiques, elles peuvent évoluer rapidement pour développer des résistances. Comprendre cette plasticité génétique est donc essentiel pour anticiper et contrer l’émergence de souches résistantes aux traitements, éviter les altérations indésirables des produits alimentaires et les crises sanitaires.
Hétérogénéité physiologique : une palette de capacités
Au-delà de la diversité génétique, les microorganismes présentent également une hétérogénéité physiologique marquée. Cette variabilité concerne leurs mécanismes métaboliques, leur capacité à former des biofilms et leur réponse aux stimuli environnementaux.
Comme évoqué précédemment, les produits alimentaires présentent une composition variée de nutriments tels que les protéines, les glucides, les lipides, et les oligoéléments, répartis de manière uniforme ou hétérogène dans le produit. De surcroît, chaque matrice alimentaire exhibe ses propres caractéristiques physico-chimiques, telles que le pH, l’activité de l’eau, et la teneur en oxygène. Les microorganismes, en fonction des produits et des procédés industriels employés, sont confrontés à des gradients distincts de nutriments, de température, et de conditions physico-chimiques, ce qui induit une adaptation de leur activité métabolique et de leur croissance. Même au sein d’un produit unique présentant différents micro-environnements, le comportement des microorganismes variera, comme l’ont souligné Wilson et ses collaborateurs en 2002.
Dans le cas des bactéries pathogènes, cette diversité physiologique revêt une importance cruciale dans la virulence de certaines souches. Certains individus se montrent plus aptes à coloniser un hôte, tandis que d’autres démontrent une meilleure résistance aux défenses immunitaires. La compréhension de cette variabilité physiologique offre des perspectives pour des approches ciblées visant à entraver la virulence bactérienne et à maitriser les mécanismes d’altérations.
Hétérogénéité cellulaire : des microorganismes aux multiples visages
L’hétérogénéité cellulaire, souvent négligée, révèle un univers caché d’une importance biologique significative au-delà de la simple moyenne de la population microbienne. Ces variations au niveau cellulaire trouvent leur origine dans des mécanismes moléculaires, allant de la pré-transcription à la post-transcription génétique (Martin, C.S. et al., 2022). Ainsi, cette hétérogénéité phénotypique aléatoire peut être exploitée pour s’adapter et survivre à des changements environnementaux imprévisibles, entraînant l’expression de phénotypes divergents par rapport à la population principale (Woude, 2006).
D’autre part, la plasticité cellulaire des bactéries pathogènes peut avoir des implications majeures dans la persistance des infections. Certains sous-groupes cellulaires peuvent être plus résistants aux agents antimicrobiens, favorisant ainsi la survie de la population bactérienne dans des environnements hostiles.
Enfin, cette réalité d’hétérogénéité cellulaire recèle un potentiel important, car elle suggère l’existence de phénomènes biologiques fondamentaux qui peuvent influencer la dynamique globale de la communauté microbienne. Ainsi, l’exploration approfondie de cette diversité offre des pistes pour optimiser les procédés industriels et garantir la qualité constante des produits alimentaires.
Les divers types de produits alimentaires et des procédés industriels employés ont un impact sur la distribution des gradients de nutriments et des conditions physico-chimiques auxquels les micro-organismes sont exposés. Dans un produit liquide agité, ils sont uniformément répartis à travers l’ensemble du produit. En revanche, dans des matrices solides, semi-solides ou multiphasiques, les gradients ne sont pas uniformes, affectant ainsi l’accessibilité des micro-organismes. Cette disparité des milieux engendre une variabilité dans les profils d’inactivation et les croissances microbiennes, rendant leur anticipation et prédiction plus difficile.
L’analyse et la prise en compte des trois niveaux d’hétérogénéité microbienne (génétique, physiologique et cellulaire) au sein des matrices alimentaires sont cruciales pour assurer la sécurité, la qualité et la durabilité des produits alimentaires. Des approches multidisciplinaires, intégrant la génomique, la métabolomique, la protéomique, la microbiologie et la biostatistique, sont nécessaires pour dévoiler les subtilités de ces microcosmes alimentaires, permettant ainsi le développement de procédés de production plus efficaces et de produits alimentaires sains et sûrs.
Auteur : Reine MALEK
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